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Interview de Pascaline Hervéet, magasine Jade, avril-mai 1998

jeudi 29 octobre 2009, par Lyonic

Tiré de : http://missalzheimer.free.fr/interv...

LES ELLES DU PLAISIR

Nul ne sait pourquoi, un jour, il lui arrive de rire après une chute de vélo. Nul ne saura également pourquoi il s’est entiché des Elles au point d’en fredonner les gnougnouteries qui dans la cuisine, qui en lisant Strange, qui devant la serpillère espagnole du dimanche matin. Maniant la tourbe des rapports humains et les vicissitudes de l’âme avec la polissonne espièglerie d’une Elli Medeiros, la sale clairvoyance d’un Miossec, l’envol branque de Cibo Matto ou l’outrecuidante tendresse des Brochettes, Pascaline Hervéet (chant, textes, mélodies) et ses trois comparses sont de ces mûtines du Bounty à qui l’on donnerait le fond de la classe sans confession. Ce serait passer à côté d’un vrai talent qui, après deux albums, fait de ce vrai-faux girls band normand citron vert le digne héritier d’une certaine idée de la chanson française où l’ironique sait se faire onirique. Car, comme le chante Pascaline, "les talons hauts, ça fait sourire les fesses".

J’ai commencé à chanter lorsque j’étais au lycée. Au lycée expérimental d’Hérouville Saint-Clair, à côté de Caen. C’était un projet avec une amie pianiste. J’avais 19 ans. Depuis je ne me suis plus arrêtée. J’ai chanté dans les rues. J’avais un répertoire de chanson de rue et je me faisais accompagner à l’orgue par l’actuelle pianiste des Elles. J’ai fait des pianos-bars. Puis le Studio des variétés, l’école de la Sacem pour les chanteurs-interprètes, pendant deux ans. J’ai ensuite monté un spectacle intitulé Y’en a marabou, sur la base de chansons de Serge Gainsbourg et Boris Vian. Ca n’a pas du tout marché. Je me suis arrêtée pendant un an...

Jade : ... De désespoir ?
Pascaline Herveet : Non une année de recherche. me sentant surtout une chanteuse-interprète, je ne voulais pas écrire de textes et ne trouvais personne qui m’écrivait ce que je recherchais. Durant une année, je suis un peu partie dans tous les sens. Ensuite, j’ai franchi le cap, commencé à écrire et monté les Elles. C’était il y’a quatre ans.

Avec des filles connues par ailleurs ?
Non, à part la pianiste. Tout s’est fait au gré des rencontres hasardeuses. Par l’intermédiaire de copains. La première année fut un peu laborieuse. Probablement, parce qu’il n’y avait que moi qui voyais où je voulais en venir et que c’était difficilement exprimable. En même temps, je n’avais pas d’argent pour payer les gens lors des répétitions et je leur demandais beaucoup d’investissement personnel. Dès lors, on peut considérer que c’est un miracle si le groupe a tenu jusque là. Comme s’il y avait un truc qui tenait tout le monde. Comme si tout le monde avait senti qu’il y avait quelque chose à faire.

La signature sur Chantons sous la truie, le label chanson française de Boucherie, a dû précipiter les choses...
Ca a été une chance. Et simplement après une petite année de travail. Tout de suite, il y a eu une concrétisation et un espoir pour tout le monde. Je ne pense que l’on aurait tenu trois ans à travailler dans un coin comme ça sans être payée. En plus, cette signature nous a fait trouver un tourneur. On s’est mis à faire énormément de scènes.

Des concerts-spectacles par ailleurs très visuels...
C’est vraiment un choix de départ. Pour moi, ça toujours été un spectacle. J’ai toujours eu envie d’avoir des conditions de spectacle. La première année, on a fait pas mal de petits lieux et de salles pas très agréables. Ca fait un an que l’on tourne dans de beaux lieux. Et même quand c’est petit, il y a un minimum d’équipement, un réel accueil, une ambiance qui n’est pas du tout celle à laquelle on peut être confronté quand on fait du piano-bar, par exemple, où l’on est vraiment pris pour du bétail, où l’on est sous-payés. Les Elles, ce n’est pas de l’animation bar. soit les gens écoutent, soit ce n’est pas ça du tout. J’adore, pour cela, un groupe comme Les Tétines Noires qui a un aspect visuel très fort. Sur scène, je suis autant une actrice qu’une chanteuse. C’est le même métier. En tout cas, je travaillerais de la même façon si je devais travailler un rôle.

Votre dernière tournée nous a permis d’admirer de splendides pyjamas...
Ca m’est venu en pensant à Peter Pan. Cette image où il s’envole avec tous les enfants en chemise de nuit... Je trouvais que le monde de la nuit et du rêve nous collait bien à la peau. Et puis je n’avais pas du tout envie que l’on soit habillé comme tout le monde. Pour ça, le pyjama est une valeur sûre. Je n’avais pas envie de jouer sur le fait que l’on soit quatre femmes, sortir nos plus belles robes... Je ne voulais pas du tout de ce rapport-là avec le public.

Votre expérience du cirque vous a-t-elle aidée dans cette approche du public ?
Je pense que l’on ressent un peu de cet univers à travers la musique des Elles. Je suis une enfant de la balle. Mon père a un cirque (le cirque du docteur Paradis, ndlr). J’ai baigné dedans sans jamais me poser la question de savoir si j’avais envie de faire du cirque. J’ai appris certaines techniques naturellement parce que c’était mon environnement. Mais ce n’était pas vraiment mon truc et je n’ai pas poussé plus loin. Puis le fait de travailler avec son père, il y avait tout de suite une exigence qui, je crois, m’a donné envie de partir vers autre chose. Par contre, la vie de cirque, le chapiteau, ce sont des choses vers lesquelles je reviendrais parce que je suis vraiment attirée par ça.

Et l’expérience japonaise ?
C’était avant les Elles. J’y suis restée un mois. En interprète de chansons françaises. J’étais la chanteuse française par excellence. Avec un répertoire que je n’avais d’ailleurs pas forcément choisi mais dans lequel j’essayais de mettre des trucs à moi. Un travail pas plus intéressant que celui d’un piano-bar classique. Je chantais dans des hôtels Hilton, devant à peu près le même public que tu peux rencontrer à l’Hilton de Paris. Essentiellement masculin. Avec toujours ce fantasme de la chanteuse, de la petite française... Enfin, un rapport au public pas très intéressant.

Mauvais Sang, Les Ailes du Désir... Vos textes contiennent de nombreuses références à un certain cinéma ?
Oula, ça fait hyper longtemps que je ne suis pas allée au cinéma. J’y vais très très peu. Parce que chaque fois que j’y vais, je suis déçue. J’aime vraiment quand le cinéma est créatif, que les réalisateurs utilisent la richesse du cinéma, le son, l’image, la lumière. Je trouve que c’est un art d’une richesse incroyable et qu’il y a finalement très peu de gens qui cherchent, qui sont audacieux. J’en ai un peu ma claque du cinéma français. Je trouve que ça devient caricatural, ces jolies petites histoires avec ces gens qui ne sont pas comédiens, des images simples. C’est pour ça que j’aime Carax. Lui fait vraiment du cinéma. Lynch aussi. Eraserhead, ça c’est du cinéma. C’est un voyage. On part.

Carot-Jeunet ?
Non, je n’aime pas du tout. Je n’accroche pas du tout à l’univers. Il y a un truc malsain qui me dérange vraiment. Je trouve ça vraiment superficiel : il y a des personnages dans l’image mais aucune profondeur de personnage. De l’image pour de l’image.

Justement parlons-en du côté malsain. Un journaliste a écrit à propos de la chanson Les Pauvres que "vos mots étaient parfois à la limite de l’écoutable". Alors ?
C’est assez bizarre. Ca ne me touche pas vraiment. J’écris, je vais à l’essentiel, à mon essentiel, à mon urgence sans me poser la question de savoir si cela va plaire ou pas. Il fallait que j’écrive Les Pauvres comme ça (Je suis pauvre et je sens mauvais/Y’a mon litron qui m’a torché/Même pas d’enfants pour faire pitié...). Les autres morceaux, c’est pareil. Une fois que le texte est écrit, il ne m’appartient plus mais je sais très bien que je n’aurais pas pu l’écrire autrement. C’est comme ça.

Des trucs vus, vécus, entendus ?
Un mélange entre des choses vécues et vues et quelque chose de plus onirique, ce mélange entre réalité et irréalité.

Tu as un univers très personnel que tu oses exprimer. Un monde de connivences entre filles. Beaucoup d’hommes doivent être contents d’y pénétrer ?
C’est assez curieux. Notre public était effectivement essentiellement féminin au début mais, petit à petit, de plus en plus d’hommes sont venus. Moi ça me fait plaisir parce que j’ai vraiment pas l’intention de faire un truc pour les filles. Il se trouve que l’on est quatre filles sur scène mais c’est un pur hasard. C’est féminin puisque c’est fait par des femmes mais rien de militant là-dedans.

Les Elles, pendant féminin de Miossec ?
J’adore Miossec mais je trouve que c’est beaucoup plus, beaucoup mieux écrit que ce que nous pouvons faire.

Juliette, un univers proche ?
J’aime son intégrité, la cohérence qui se dégage de son art. Musicalement, je n’aime pas, c’est trop classique. Mais c’est parfait, c’est elle, c’est son physique, c’est sa voix. Je l’ai vue sur scène et j’ai été très touchée. Marie-Paule Belle ? Je ne connais pas mais j’aimerais bien, je sens qu’il y a un truc pour moi.

Reprendre Made In Normandie de Stone & Charden sur votre premier album, c’est tomber dans le panneau de la kitsherie à la mode ?
Non. C’est simplement parce qu’on est normandes toutes les quatre. En concert, il y avait toute une scénographie genre cinéma muet qui accompagnait le morceau et qui accentuait le côté clin d’oeil.

Etes-vous ce délicieux cocktail mêlant l’univers mélancolique d’une Françoiz Breut et le côté coquin festif d’une Elli Medeiros ou Lio ?
Il y’a des choses que j’aime chez Lio, pas tout. Elli Medeiros, j’aime beaucoup et j’adore Dominique A. Il a un univers vraiment particulier, une voix vraiment magnifique. Les quelques titres que j’ai écoutés d’une oreille distraite de Françoiz Breut ne m’ont pas accrochés.

Avez-vous le sentiment de faire partie d’une nouvelle vague de la chanson française ?
Non. Je ne me sens vraiment proche de personne. En même temps, il y a un réel mouvement autour de la chanson française et l’on est dedans. Mais c’est vraiment le retour d’une tradition typiquement française, d’une variété qui raconte des histoires, la chanson réaliste. La personne dont je pourrais me sentir le plus proche c’est Brigitte Fontaine... Ce n’est pas vraiment une jeune. En ce moment, j’écoute l’album de Bashung en boucle.

Mon zizi ne sent pas le pipi/ Tu peux lui faire gui-guili ou encore Ma bouche n’est pas très lisse/ Mais j’aime bien qu’on s’y glisse... Fantasme, provocation ou envie d’écrire ?
Certainement pas un fantasme. Ce serait bien pauvre. Non, simplement quelque chose qui arrive en studio, qui nous fait rire tellement c’est gros et amusant puis qu’on garde. Dire des choses de camionneuses avec une voix et un physique de femme-enfant me plaît assez. J’aime bien surprendre : "Ah bon, tiens, puisque personne ne pense que je vais le faire... Allons-y".

Du coup, vous vous êtes souvent faite virer de l’école ?
Non, pas du tout. J’étais plutôt du genre à souffrir et à me taire en silence. Je fus très malheureuse à l’école. Tu sais, ce côté chipie, espiègle et cruel souvent accolé à ce que l’on fait est juste un truc de journaliste. Je pense que l’univers des Elles est plus complexe : il y a une profonde mélancolie, une vraie poésie.

L’ironie sauve-t-elle de tout ?
Pour moi, c’est le moteur essentiel de la vie. Je n’en ai pas eu plus besoin que d’autre mais c’est essentiel. La grande recette du bonheur c’est la distance. Pour cela, j’adore les enfants, cette capacité à trouver du jeu et de la poésie en tout et partout.

Places-tu beaucoup d’espoirs dans la société actuelle ?
Je suis assez optimiste et confiante. Enfin ça m’arrange (rires). Non, je pense vraiment que ça va bouger. mais je suis un peu déconnectée de l’actualité. Le dernier truc dont je me souvienne c’est le voyage du pape en France avec le grand rassemblement des jeunes cathos m’a fait peur. Au secours. J’étais à Paris à ce moment-là et tout d’un coup j’étais effrayée par le monde qui m’entourait. Je n’ai pas envie de vivre avec ces gens-là. Me cacher. Je suis totalement allergique à ce genre de comportement. C’est comme avec les foot. Le pape, c’est pareil que le foot.

Et les Spice Girls ?
Je ne trouve pas ça étonnant. Elles sont rigolotes, pas connes, ont de grandes gueules, une vraie énergie, bougent et chantent super bien... Je ne pense pas que ce soit de la merde. Je respecte tout à fait ce genre de filles et je pense que si ça marche aussi fort c’est aussi parce que ce ne sont pas des canons, que les filles sont assez contentes d’en voir d’autres qui se sapent comme ça. En tout cas ça me fait moins peur que... Qu’est-ce qu’on a eu comme crétine féminine française dernièrement ?... Ouais, voilà, je préfère que les gamines délirent sur les Spice Girls que sur les mannequins. Je trouve ça plus sain. Elles sont vivantes ces filles. Et la vie, c’est quand même important. C’est pour cela, par exemple, que j’aime la techno -Chemical Brothers, Prodigy,...-, j’aime danser, sentir la transe. Impossible d’écouter ça chez moi, mais en live...

Le rap ?
Les textes me font vraiment chier. Ce côté social qui ne va pas loin du tout. Je trouve ça très infantile, ce côté moraliste, prêcheur. En même temps, ce n’est pas du tout mon histoire. Le rap ne me parle pas, j’ai jamais vécu en banlieue. Par contre, j’aime bien Zebda. Social mais pas niais et plein de joie de vivre. Les Femmouzes T. aussi.

Bientôt un troisième album ?
Oui, probablement des reprises, un répertoire qui abordera nombre des sens de la chanson française. Peut-être un morceau techno à capella, aussi. Après ? Peut-être une carrière solo.

Le plus beau mot soufflé à un homme ?
Je ne sais pas. Je suis très pudique.

A propos de Jade : http://www.pastis.org/julie/www_jad...

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